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Recherche / 6 mai 2024

Lutte contre les douleurs oculaires, une recherche unique en France

"Nous nous efforçons d’identifier les voies anatomiques impliquées dans la douleur oculaire chronique, ainsi que les mécanismes neuro-inflammatoires, dans le but de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques pour soulager les patients." Annabelle Réaux-Le Goazigo, Chargée de recherche Inserm à l’Institut de la Vision.

Gros plan d'un oeil
Gros plan d'un oeil

Les douleurs oculaires, un mal peu connu

Les douleurs oculaires sont parmi les plus fréquentes causes de consultation en ophtalmologie. Il n'y a rien d'étonnant à cela car la cornée est le tissu le plus densément innervé du corps humain. On estime à 7 000/mm2 la densité des terminaisons nerveuses cornéennes chez l’Homme. Par comparaison, cette densité nerveuse est 30 fois plus importante que celle de la pulpe dentaire et 500 fois plus que celle de la peau. On comprend ainsi que toute altération, stimulation ou abrasion de la cornée peut conduire à une douleur de forte intensité.  La sécheresse oculaire est la cause la plus fréquente de douleurs puisqu’elle touche, de manière permanente ou intermittente, 20 à 30 % de la population âgée de plus de 50 ans. Cette pathologie du segment antérieur de l’œil est caractérisée par des sensations de douleur variables dans leurs intensités, allant du simple inconfort à une douleur oculaire prononcée.

La douleur oculaire peut être de nature : 
- inflammatoire, généralement déclenchée par à une lésion tissulaire, conduisant à une activation des cellules immunitaires libérant des substances pro-inflammatoires et pro-algiques qui vont alors stimuler les terminaisons nerveuses cornéennes engendrant un message de douleur (nociceptif). 
- neuropathique, causée par des lésions ou un dysfonctionnement des nerfs cornéens qui deviennent hyperactivés, transmettant en continu des signaux nociceptifs au cerveau. De diagnostic complexe, son traitement nécessite souvent une approche multidisciplinaire mais il n’existe, à ce jour, aucune recommandation thérapeutique pour la douleur neuropathique cornéenne.

Les mécanismes physiopathologiques de la douleur oculaire, d’origine nerveuse et / ou inflammatoire, demeurent de nos jours peu connus. Ce constat impose un approfondissement de nos connaissances fondamentales et cliniques sur l’anatomie du système nociceptif cornéen (réseau de terminaisons nerveuses du système nerveux qui donne l’alerte et transmet la douleur au cerveau via un signal électrique) et sur les mécanismes cellulaires impliqués dans l’initiation et la chronicisation de la douleur oculaire.

L’Institut de la Vision, fer de lance de la recherche sur la douleur oculaire

L’Institut de la Vision compte la seule équipe en France et une des rares au monde à étudier la douleur oculaire. Annabelle Réaux-Le Goazigo et son équipe ont pour objectif d’identifier les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans l’initiation et la chronicisation de la douleur oculaire, afin d’améliorer les thérapies actuelles et découvrir de nouvelles pistes thérapeutiques qui font cruellement défaut. 

De nombreux défis ont déjà été relevés : 
- Comment évaluer les dysfonctionnements des nerfs cornéens ?  Notre équipe a accompli un exploit unique en réalisant des enregistrements de l'activité électrique de ces nerfs chez la souris, une première à l'échelle mondiale. Ces enregistrements ont non seulement révélé des anomalies fonctionnelles telles que l'hyperexcitabilité et l'hyperactivation, mais ils ont également été essentiels pour évaluer l'efficacité de nouveaux traitements visant à soulager la douleur.
- Quels sont les mécanismes qui conduisent à la chronicisation de la douleur ? 
Des avancées majeures ont également été réalisées dans la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires sous-tendant la douleur oculaire persistante, ainsi que dans l’identification et la validation de cibles thérapeutiques prometteuses, offrant de véritables espoirs pour les patients.

Les recherches ont permis non seulement d’identifier les neurones cornéens grâce à une imagerie 3D, développée au sein de l’Institut de la Vision mais surtout de caractériser les changements cellulaires et moléculaires survenant dans ces neurones en conditions pathologiques.
En outre, des travaux récents ont mis en exergue qu’une douleur oculaire chronique entraîne des modifications cellulaires cérébrales. Ces altérations se traduisent par une activation et une réorganisation spatiale des cellules microgliales (cellules inflammatoires – en rouge) à proximité de neurones (en vert) activés lors d’une douleur oculaire. 

Cellules microgliales (cellules inflammatoires – en rouge) à proximité de neurones (cellules vertes) activés lors d’épisodes douloureux.

Légende de la photo : cellules microgliales (cellules inflammatoires, en rouge) à proximité des neurones activés lors d’une douleur oculaire (en vert). 

En parallèle, des analyses de biologie moléculaire révèlent une augmentation de l’expression de nombreux gènes pro-inflammatoires dans le tronc cérébral, structure impliquée dans la transmission de l’information douloureuse. Ces explorations se poursuivent activement afin de mieux appréhender ces mécanismes centraux, susceptibles de contribuer à la chronicisation de la douleur oculaire. 
A terme, ces études visent à identifier précisément les réseaux neuronaux impliqués dans la douleur oculaire chronique, ouvrant ainsi la voie à des stratégies thérapeutiques sélectives et spécifiques pour inhiber la transmission de l’information douloureuse.

La recherche translationnelle, pour identifier des biomarqueurs

L’équipe d’Annabelle Réaux - Le Goazigo travaille en étroite collaboration avec les cliniciens-chercheurs du Centre d’Investigation Clinique de l’Hôpital National des 15-20 dédié aux pathologies de la surface oculaire, dirigé par le Professeur Christophe Baudouin, et du laboratoire de biologie médicale et d'ophtalmo-biologie (Chef de service, Dr Françoise Brignole-Baudouin). Le centre étudie une grande cohorte de patients qui participent à des études cliniques sur les pathologies de la vision.
Cette collaboration permet, à travers une approche multimodale, de réaliser une évaluation clinique extrêmement précise de la surface oculaire chez les patients souffrant de douleur chronique associée à la sècheresse oculaire.  Ces données offriront une opportunité unique d'identifier d'éventuels biomarqueurs de la douleur oculaire, ouvrant ainsi la voie à des stratégies de diagnostic et de traitement plus ciblées. 

A terme, les recherches translationnelles en cours vont permettre d’approfondir nos connaissances sur cette pathologie hautement invalidante et ouvriront de nouvelles perspectives pour la découverte de cibles thérapeutiques innovantes, visant à soulager efficacement les patients.

Pour l’information des patients : si vous souffrez de douleur oculaire chronique, l’Hôpital National des 15-20 vous accueille sur rendez-vous et avec adressage de votre ophtalmologiste. Contact : douleur@15-20.fr – tél : 01-40-02-16-61.

Dr Annabelle Réaux-Le Goazigo, chargée de recherche Inserm à l’Institut de la Vision, est neurobiologiste, ayant une expertise reconnue internationalement dans le domaine de la douleur. 
Ses projets de recherche fondamentale et clinique, réalisés en collaboration avec le Centre d’Investigation Clinique de l’hôpital National des 15-20, visent à approfondir nos connaissances sur les mécanismes périphériques et centraux associés à la douleur oculaire chronique.