Comment la rétine peut freiner la myopie
À l’Institut de la Vision, l’équipe d’Olivier Marre, en collaboration avec EssilorLuxottica, a révélé comment la rétine peut détecter si une image est focalisée devant ou derrière l’œil. Publiée dans Science Advances, cette découverte ouvre de nouvelles pistes pour freiner la progression de la myopie.

« La rétine reçoit une image en deux dimensions, ce qui rend, en théorie, l’information sur la profondeur ambiguë. Pourtant, elle parvient à extraire des indices subtils qui lui permettent de savoir si l’image est focalisée devant ou derrière elle. Comprendre comment elle y arrive est l’un des points de départ de notre étude. » Olivier Marre.
La myopie survient lorsque l’œil s’allonge excessivement : l’image des objets lointains se forme alors en avant de la rétine, entraînant une vision de loin floue. Différents travaux de recherche ont établi que la rétine joue un rôle de « chef d’orchestre », envoyant des signaux qui modulent la croissance de l’œil pour maintenir une mise au point nette. Mais dans la myopie, ce mécanisme se dérègle.
Depuis quelques années, des solutions optiques innovantes, comme les verres de freination développés par EssilorLuxottica, permettent déjà de ralentir en partie l’agrandissement de l’œil chez l’enfant. Leur efficacité clinique est démontrée, mais les mécanismes biologiques expliquant comment cette freination fonctionne restaient encore mal connus.
Pour mieux comprendre ces mécanismes, l’équipe d’Olivier Marre (Institut de la Vision) et les équipes R&D d’EssilorLuxottica ont étudié comment la rétine détecte si une image est focalisée devant elle (ce qui devrait ralentir la croissance de l’œil) ou derrière.
Leur étude apporte un élément clé de réponse : certaines cellules ganglionnaires de la rétine sont capables de détecter où est le plan focal (le focus), en calculant le niveau de netteté de l’image. Cette découverte renforce la compréhension scientifique des principes sur lesquels reposent les stratégies actuelles de freination, et pourrait ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques.
Le secret des cellules ganglionnaires de la rétine
Comment l'œil parvient-il à réguler sa propre croissance pour rester parfaitement mis au point ? Cette capacité étonnante s'appelle l'emmétropisation. Pour cela, la rétine est capable d’après l’image qu’elle reçoit au travers de l’optique de l’œil, de calculer si le plan focal est devant ou derrière elle, et de moduler la croissance de l’œil pour amener à elle ce plan focal.
Cependant, jusqu’ici, la manière dont la rétine effectue ce calcul est restée mystérieuse.
L’équipe a montré que certaines cellules peuvent le faire en comparant les petites variations d’intensité lumineuse d’un point à l’autre de l’image, ce qu’on appelle le contraste spatial local. Lorsqu’une image est floue, ces différences d’intensité deviennent moins nettes et se répartissent différemment sur la rétine. Les cellules ganglionnaires sont capables de décrypter cette signature particulière du flou et modifient leur activité électrique selon la manière dont le flou se projette. C’est un signal que le reste de l’œil peut utiliser pour ajuster sa croissance.
La rétine ne se contente donc pas d’être un « écran » passif : elle agit comme un capteur intelligent, capable de déchiffrer la nature du flou pour en tirer une information clé. Elle va émettre des signaux biochimiques pour ordonner à l'œil de grandir ou de ralentir sa croissance. Si le signal de mise au point est correct, la croissance s’arrête au bon moment. Si ce mécanisme se dérègle (par exemple sous influence génétique ou environnementale), l’œil continue de grandir.
Cette découverte éclaire un mécanisme fondamental de la croissance de l’œil. En comprenant mieux ce langage cellulaire, les chercheurs offrent une base solide pour optimiser les solutions déjà disponibles, comme les verres ou lentilles de freination, et ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. À terme, ces avancées pourraient contribuer à encore mieux protéger les jeunes générations face à l’épidémie mondiale de myopie et à réduire les risques de complications visuelles graves, particulièrement associées aux fortes myopies (au-delà de -6 Dioptries).
Réf. : O. Marre, K. Baranton, S. Goethals, et al - Nonlinear spatial integration allows the retina to detect the sign of defocus in natural scenes - Science Advances 2025
Lien pour la publication : https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.adq6320