Thierry Léveillard, Directeur de recherche à l’Inserm, nous a quittés le 7 juin 2023 à l'âge de 63 ans. Il dirigeait une des équipes de l’Institut de la Vision et a apporté des contributions décisives à l’un de ses programmes phares.

Thierry Léveillard a suivi une formation scientifique classique débutée par un Doctorat à l’Université de Rouen. Il a effectué deux prestigieux stages post-doctoraux à San Diego (sous la direction du Pr. Peter Geiduschek, un des spécialistes mondiaux de la régulation des gènes) puis au Salk Institute (avec le Pr. Inder Verma, autorité reconnue dans le domaine des vecteurs viraux pour la thérapie génique). A son retour de ces longs séjours post-doctoraux il a intégré l'Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire (IGBMC) de Strasbourg dirigé par Pierre Chambon, avant de rejoindre le Laboratoire « Physiopathologie Cellulaire et Moléculaire de la Rétine » à l’Université Louis Pasteur en 1997. Ce Laboratoire fut au cœur de l’Institut de la Vision fondé en 2008 à Paris sur le site de l'Hôpital national des 15-20.

En 1996, l’équipe de José-Alain Sahel venait de démontrer l’existence d’interactions cellulaires entre les photorécepteurs à bâtonnets et les photorécepteurs à cônes. Ces interactions, de type paracrine, sont essentielles à la survie et à la fonction des cônes, et donc de la vision diurne et de la vision centrale (acuité visuelle, reconnaissance de visages et d’objets). Souhaitant caractériser la signalisation sous-jacente, José Sahel approcha Pierre Chambon, afin de l’aider à recruter un chercheur courageux et méthodique susceptible de développer les stratégies appropriées. Quelques heures après, la discussion des observations déjà recueillies et du chemin à parcourir ouvrait pour eux une période de collaboration intense de plus de 25 ans, brutalement interrompue aujourd’hui. Grâce à des compétences scientifiques remarquables, à sa créativité et à sa rigueur, Thierry a introduit et appliqué des approches scientifiques très variées, qui couvrent les champs de la biochimie et de la génétique moléculaire et génomique fonctionnelle. Leur équipe, au terme d’un travail ambitieux et systématique, a pu mettre en évidence et caractériser une protéine spécifiquement exprimée et sécrétée par les bâtonnets, le Rod-derived Cone Viability Factor (RdCVF) codé par le gène Nxnl1., gène jusqu’alors inconnu. Cette découverte majeure a permis de démontrer et analyser le rôle inédit et crucial de RdCVF pour la survie des cônes. Par la suite, Thierry Léveillard et l’équipe dont il prit la direction, ont été les premiers à identifier la bi-fonctionnalité du gène Nxnl1 qui code notamment pour une enzyme, RdCVFL avec une activité thiol-oxydoréductase. La nouvelle signalisation mise en évidence par ces travaux ne se limite pas seulement à la rétine, mais aussi à d’autres organes sensoriels et potentiellement au cerveau. Puis Thierry Léveillard a conduit les efforts conduisant à l’identification du récepteur de RdCVF à la surface des cônes et montré qu’il interagit avec le transporteur du glucose GLUT1. Ces recherches publiées dans Cell et commentées dans Cell et dans Nature offrent la première démonstration univoque que les photorécepteurs à cônes métabolisent le glucose par la voie de la glycolyse aérobie.

Il a conduit ses travaux avec rigueur et conviction et a stimulé plusieurs membres de son équipe à évoluer professionnellement, souvent au-delà de ce qu’elles et ils pouvaient espérer.

La réputation internationale de Thierry Léveillard a permis d’initier de nombreuses collaborations nationales et internationales académiques et avec l’industrie pharmaceutique, toujours au plus haut niveau, comme avec Erika Camacho en modélisation mathématique, avec Donald Zack à Johns Hopkins, John Flannery à Berkeley, Jean Bennett à Penn et l’équipe d’Arne Holmgren puis Elias Arner au Karolinska Institute, parmi beaucoup d’autres scientifiques de haut niveau. Il a co-piloté un important consortium international sur la génétique de la Dégénérescence Maculaire liée à l’Âge.

Les perspectives des travaux de Thierry Léveillard sont d’une importance majeure puisqu’elles ouvrent la voie à des progrès thérapeutiques dédiés à la lutte contre la cécité et la malvoyance dans les maladies dégénératives de la rétine. Son travail a été récompensé par plusieurs Prix prestigieux, comme le Trustee Award de la Foundation Fighting Blindness (avec José Sahel, « in recognition of outstanding research achievement in the development of retinal cell survival factors ») en 2005 et notamment le Prix de l’Œil de la Fondation de France, en 2016.

En 2016 il a cofondé avec José Sahel et le soutien de la Foundation Fighting Blindness, de la Fondation Voir et Entendre et de la Banque Publique d’Investissement, la société Sparing Vision, aujourd’hui à l’avant-garde de la médecine génomique de la rétine. Peu avant sa disparition prématurée, Thierry Léveillard avait pu se réjouir de l’entrée en clinique de cette stratégie thérapeutique à laquelle il a tant contribué.

Thierry Léveillard était un membre inestimable de notre communauté, un chercheur brillant, et, au-delà de ses accomplissements scientifiques, un collègue apprécié et respecté. Figure historique de l’Institut de la Vision, sa franchise, sa rigueur incontestée et sa détermination auront marqué ceux qui l’ont côtoyé. Très attaché à la famille et aux valeurs républicaines d’équité et de responsabilité, amoureux de la mer et de la nature, Thierry Léveillard était une forte personnalité, remarquable par sa grande intégrité, des qualités exceptionnelles d'intelligence, de culture scientifique et générale, de générosité dans les rapports avec ses collaborateurs. Sa profonde et forte conviction, sans compromis, de la portée de la science, son rire et sa puissance de travail, jusqu’aux derniers jours, sont irremplaçables mais continueront à inspirer toutes celles et ceux qui ont eu l’opportunité de travailler avec lui.

Nous garderons en mémoire l'héritage scientifique et humain précieux qu'il nous laisse, et nous nous efforcerons de perpétuer son travail avec le même engagement et la même détermination pour les patients.
Nous adressons nos plus sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à tous les membres de l'équipe qui partagent cette immense peine.

José-Alain Sahel, directeur de l'Institut Hospitalo-Universitaire FOReSIGHT
Serge Picaud, directeur de l'Institut de la Vision