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Poissons 3D

 

À contre-courant du dogme en vigueur, les travaux des biologistes Alain Chédotal et Filippo Del Bene ont permis de démontrer qu’il y a 350 millions d’années», les poissons possédaient déjà une vision tridimensionnelle. Retour sur la genèse d’une publication majeure dans la revue Science.

Quel a été le point de départ de vos recherches ?

Alain Chédotal – Dans le système visuel humain, les projections de l’œil dans le cerveau vont pour moitié dans le côté droit et pour l’autre moitié à gauche. De manière générale, plus l’espèce est « évoluée », plus la répartition dans les deux hémisphères cérébraux est équilibrée. Cette vision binoculaire se retrouve chez de nombreuses espèces vivant sur terre. C’est Filippo qui m’a dit que des travaux avaient peut-être montré qu’il pourrait aussi y avoir des projections bilatérales chez les poissons.

Filippo Del Bene – Les données sur la supposée présence de vision bilatérale chez certains poissons n’étaient vraiment pas claires. Puisque la croyance voulait que seuls les tétrapodes (vertébrés à quatre membres pourvus de poumons) soient dotés de vision bilatérale, on supposait que cette mutation était liée à la sortie des eaux il y a 250 millions d’années. Comme on souhaitait transformer une supposition en affirmation, on a cherché et on a trouvé !

Comme y êtes-vous parvenus ?

AC – Grâce à la technique de la transparisation, le fait de rendre les tissus transparents à la lumière. L’idée consiste à injecter une molécule

fluorescente dans l’œil qui agit comme un traceur. Par transparence, on observe le trajet des projections visuelles de l’œil au cerveau. L’arrivée de Filippo à l’Institut a été déterminante pour lancer l’étude sur les poissons.

FDB – On souhaitait prendre un échantillon le plus représentatif possible en incluant des espèces anciennes, d’autres qui avaient une position des yeux plus frontale ou sur les côtés, des prédateurs, etc. On a trouvé que certaines espèces, apparues il y a plus de 300 millions d’années, ont bien des projections des deux côtés, contrairement à ce qu’on avait toujours pensé !

Y a-t-il une suite à ces recherches ? Des applications cliniques ?

AC – À terme, ces travaux pourraient permettre de mieux comprendre comment les yeux se connectent au cerveau et ouvrir la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques pour des patients ayant des atteintes du nerf optique comme c’est le cas dans le glaucome.

FDB – Si on envisage dans le futur de développer des thérapies cellulaires pour régénérer le nerf optique, on a besoin de comprendre le programme de développement biologique normal de ces projections bilatérales. C’est ce que nous allons faire.