DONATE MAINS

leonardo connexionsLes yeux sont connectés au cerveau par les deux nerfs optiques. Ce que nous voyons, est capté par la rétine qui tapisse le fond des yeux puis envoyé le long des nerfs vers des régions du cerveau qui analysent les images perçues et les interprètent. Dans la rétine, les neurones dont les prolongements (ou axones) constituent le nerf optique sont les cellules ganglionnaires. Dans de nombreuses espèces animales, comme les mammifères (et par conséquent l’homme), les deux nerfs optiques s’entrecroisent au niveau d’un structure appelée chiasma optique. Cette particularité anatomique avait déjà frappé les premiers anatomistes dont Léonard de Vinci (Dans l'image: Dessin de Léonard de Vinci (1508) représentant les yeux (1), les deux nerfs optiques (2) et le chiasma (3))

Chez l’homme, ainsi que la plupart des animaux possédant deux yeux, la vision est stéréoscopique, c’est-à-dire que l’on perçoit le relief, la profondeur.
Bien que nos deux yeux voient en grande partie la même région du champs visuel, l’écart entre les yeux et leur inclinaison font que l’image perçue par les deux yeux est légèrement différente.

Ce décalage permet au cerveau de générer une image tridimensionnelle (3D) de notre environnement. Comment cettechamp visuel comparaison est-elle réalisée ? Il y a près d’un siècle il a été découvert que les axones des cellules ganglionnaires situées dans la moitié latérale ou la moitié médiane de chaque rétine se séparent au niveau du chiasma optique. Ceux qui proviennent de la région médiane continuent leur chemin jusqu’au cerveau dans le nerf optique opposé, alors que ceux qui proviennent de la région latérale de la rétine restent dans le nerf optique situé du même côté et y demeurent jusqu’au cerveau. Il en résulte que de chaque côté du cerveau, les centres visuels sont binoculaires : ils reçoivent des informations provenant des deux yeux. C’est la comparaison des deux images qui permet au cerveau de voir en 3D. Dans certaines pathologies, comme l’albinisme, la proportion d’axones rétiniens se projetant du côté opposé est anormalement élevée ce qui perturbe la vision du relief (Dans l'image : La partie centrale du champ visuel est vue par les 2 yeux (binoculaire). Dans chaque œil, la rétine située du côté latéral (en vert pour l’œil gauche) est connectée à des centres visuels du cerveau du même côté alors que la rétine médiane (en violet) se projette sur le côté opposé).

L’étude comparative du système visuel de nombreuses espèces de mammifères a révélé que le ratio de neurones rétiniens connectés au côté opposé du cerveau est très variable : Il est d’environ 50% chez les primates, de 85% chez un furet et de 97% chez une souris.Ainsi, la vision binoculaire des primates est la plus développée que celle des rongeurs, et d’une manière plus globale elle l’est plus chez les espèces qui sont prédatrices, ce qui serait corrélée à une meilleure capacité à attraper des proies.

D’autres travaux d’anatomie comparée ont montré que cette organisation bilatérale des projections visuelles est aussi retrouvée chez les oiseaux, les reptiles et les amphibiens, qui, avec les mammifères, constituent les tétrapodes (les vertébrés dotés de quatre membres).De manière surprenante, des études, réalisées il y a une trentaine d’années, suggéraient que ce n’était pas le cas des poissons, et que leurs yeux se projetaient uniquement dans la moitié du cerveau situé du côté opposé. Par conséquent, on pensait que le développement de projections visuelles bilatérales était un des évènements majeurs qui, avec l’apparition des membres et des poumons, avait au cours de l’évolution permis la sortie des eaux (il y a 320 Millions d’années).


Des travaux réalisés à l’Institut de la Vision par les équipes de Filippo Del Bene et d’Alain Chédotal, et publiés dans la revue américaine Science (DOI: 10.1126/science.abe7790), viennent de remettre complètement en cause ce modèle.

image feuilléLes chercheurs ont utilisé des techniques modernes d’imagerie 3D, faisant notamment appel à la microscopie laser à feuillet de lumière, pour étudier l’organisation des projections visuelles de nombreuses espèces de poissons (Dans l'image : Image obtenue par microscopie à feuillet de lumière du cerveau d’un lépisosté. Les projections visuelles provenant de l’œil gauche sont vues en vert et celles de l’œil droit en magenta. Elles se projettent des 2 côtés du cerveau.)

Il existe actuellement près de 30 000 espèces de poissons, soit près de la moitié des espèces de vertébrés. Les poissons ont colonisé tous les océans et tous les continents, et vivent dans l’eau douce ou l’eau de mer.

Les poissons sont nos lointains cousins et ont évolué depuis des centaines de millions d’années. Parmi tous les poissons, ce sont du cœlacanthe et des poissons à poumons, tels que le dipneuste australien, que les tétrapodes sont les plus proches, n’ayant divergés de leur ancêtre commun qu’il y a environ 450 millions d’année. evolutionCes poissons anciens, parfois qualifiés de fossiles vivants (ce qui est inexact car ils ont continué à évoluer depuis leur apparition au Silurien), sont beaucoup plus rares, que les poissons dits téléostéens, qui à eux seuls représentent plus de 95% des poissons actuels. D’autres espèces de poissons « reliques », les lépisostés, se sont séparés des autres poissons il y a 300-340 millions d’années, avant l’apparition des téléostéens. Il n’existe plus dans le monde que sept espèces de lépisostés que l’on trouve principalement dans des lacs américains.

Les équipes du Dr Del Bene et du Dr Chédotal ont collaboré avec des chercheurs Australiens, Américains et Espagnols pour cartographier les voies visuelles des poissons anciens et des poissons téléostéens. A leur surprise, ils ont découvert que les poissons anciens (dont font aussi partie les esturgeons) ont tous des projections visuelles bilatérales comme les tétrapodes et que seuls les téléostéens ont des projections visuelles n’innervant que le côté opposé du cerveau. Ceci démontre qu’une organisation bilatérale/binoculaire des voies visuelles existait déjà chez les poissons, bien avant la sortie des eaux, et qu’elle a disparu chez les téléostéens. Les chercheurs ont également montré que les mécanismes moléculaires qui contrôlent la mise en place des projections visuelles bilatérales diffèrent entre les tétrapodes et les poissons anciens. D’autres travaux sont en cours pour mieux comprendre l’origine et la fonction de la latéralité des projections visuelles et découvrir les mécanismes moléculaires sous-jacents. Ces travaux permettent de mieux comprendre comment les yeux se connectent au cerveau ce qui pourrait permettre à terme de découvrir de nouvelles pistes thérapeutiques pour reconnecter l’œil au cerveau chez des patients ayant des atteintes du nerf optique (comme c’est le cas dans le glaucome).

Titre et publication originale : Bilateral visual projections exist in non-teleost bony fish and predate the emergence of tetrapods
Robin J. Vigouroux, Karine Duroure, Juliette Vougny, Shahad Albadri, Peter Kozulin, Eloisa Herrera, Kim Nguyen-Ba-Charvet, Ingo Braasch, Rodrigo Suárez, Filippo Del Bene* and Alain Chédotal*

*Contacts:
filippo.del-bene@inserm.fr
alain.chedotal@inserm.fr

Regardez l’ excellente et très didactique vidéo par Science qui résume les principaux résultats de cet article => https://youtu.be/p4K0CRAPXGI